En ce temps-là, je fréquentais un établissement scolaire qui avait l’ambitieux projet de joindre l’enseignement manuel et l’enseignement culturel (Comprendre : fréquentait un enseignement de niveau technique).
Or donc dans le cadre d’un développement de nos capacités culturelles, il fut décidé, en début d’année scolaire, de monter une pièce de théâtre pour le spectacle de fin d’année.
Chaque année d’étude se vit dotée d’une tâche bien particulière. Ainsi les plus jeunes s’occupèrent du décor pour ce qui est de le mettre en couleur et réaliser les différentes pièces. Les plus anciens se virent confier l’installation électrique et l’appareillage de la scène. Et il nous incomba, à nous
, d’apprendre et réciter le célèbre texte de Shakespeare.
Je dois avouer qu’avant de voir "Juliette" j’enviais mes amis qui se défoulaient avec planches et clous au lieu de passer des heures à versifier des "je t’aime" à la mode de Madame M… qui en était encore restée à l’époque des mousquetaires.
Bref, sous les quolibets de mes amis, je poursuivis l’étude et la représentation d’une pièce qui, à dire vrai, commençait sérieusement à m’énerver.
Non tant par sa complexité mais par le temps libre qu’elle me bouffait.
Cependant j’avais pas tellement le choix : la représentation comptait pour la moitié des points du bulletin (Ceci pour qu’on comprenne le pourquoi il me fallut aller jusqu’au bout)
Je passerai sur les difficultés inhérentes à ce genre d’entreprise style les chutes en tout genre d’outils, de décor et d’acteurs avec les pansements et conséquences que cela implique pour en arriver, après maints efforts et catastrophes, à La représentation.
Comme il se doit TOUS les parents étaient présents ainsi que le collège échevinal au complet sans oublier les pensionnaires d’un home pour jeunes filles et un ancien ministre qu’on avait dû sortir de la naphtaline.
Madame M… était aussi excitée qu’une puce voyant passer un chien.
Elle était dans la salle accueillant les invités, sur la scène pour régler les détails, dans les coulisses pour serrer un lacet et dans les loges pour les dernières recommandations.
Première surprise, les costumes. Ceux-ci étaient composés de chemises bouffantes et d’un panty tellement serré qu’on aurait pu indiquer la religion de celui qui le portait.
On avait fière allure avec nos galurins à plumes.
Les filles, mieux gâtées, portaient des robes à dentelles magnifiques (pas besoin de grandes explications pour comprendre qui s’était occupé des costumes)
Or donc la pièce commence et tout se déroule sans anicroches jusqu’à la scène du baiser. Il faut vous dire que malgré, les quarante répétitions, jamais Roméo et Juliette n’échangèrent le moindre frôlement des lèvres. Cependant sa longue et soyeuse chevelure noire et ses profonds yeux bleus avaient fait naître un drôle de sentiment assez confus : Elle m’était antipathique et pourtant je ressentait un manque lorsqu’elle n’était pas là, comme une boule au ventre dont on arrive pas à se défaire.
Bref, nous en sommes au baiser. Nous terminons notre tirade et nous nous embrassons……… Mais pas un baiser de cinéma. Non, un véritable baiser, MON PREMIER véritable baiser avec joute de langues et cette envie de vouloir avaler l’autre. Ce baiser me traversa des lèvres jusqu’à la pointe des orteils en m’enflammant au passage à m’en couper le souffle avec les conséquences que cela entraîne à cet âge.
À la fin du baiser, nous nous présentâmes face au public et un héraut annonça bien haut : "La garde est levée !!" …
…
…….. Ce qui eut pour effet de faire écrouler de rire les trois cent personnes présentes.
Voilà comment, malgré un vif succès, je ne remis plus jamais les pieds sur une scène de théâtre.